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Soulouque

L’ARRESTATION DE GUY PHILIPPE : DES LECONS POUR L’ÉTAT HAÏTIEN ET LA SOCIÉTÉ

L’arrestation du sénateur élu de la Grande Anse Guy Philippe par des membres de la Brigade de lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS), avant d’être remis aux agents de la Drug Enforcement Administration (DEA), qui l’ont immédiatement transporté aux États- Unis, a soulevé un légitime tollé dans le pays. Les intervenants ont quasi unanimement dénoncé la remise de M. Philippe aux autorités judiciaires fédérales comme une violation de la souveraineté nationale et du nationalisme mal dirigé des dirigeants du pays accusés d’être peu soucieux du sentiment patriotique et du respect de la mémoire de nos ancêtres. Quand on sait que le système judiciaire haï- tien est totalement dysfonctionnel et que les criminels, toutes catégories confondues, occupent le haut du pavé, il faut alors demander que faire pour protéger la société ?

En effet, dans les journaux et les radios, en Haïti, les rubriques juridiques et judiciaires fourmillent d’incidents faisant état de dépossessions illégales de terrains ou de maisons, de citoyens et citoyennes victimes d’injustice dans les tribunaux, dans de nombreux cas de compatriotes vivant à l’étranger dépouillés injustement de leurs propriétés, aux prises avec une justice scélérate. Mais c’est surtout la grande criminalité, notamment les gens impliqués dans le trafic de stupéfiants, qui font la une. Car, au fil des trente dernières an- nées, les caïds de la drogue ont implanté une véritable industrie dans ce pays, utilisant les recettes de leurs activités illicites pour corrompre le système judiciaire, transformant les juges malhonnêtes sujets à la corruption en de vrais alliés.

Certes, grâce à la coopération de ces magistrats mafieux et les millions réalisés dans cette entreprise criminelle, les barons de la drogue ont fini par contrôler les tribunaux, assurés de pouvoir continuer à mener leurs opérations illicites avec impunité. Car, en possession de ressources illimitées, ils sont à même de contrôler de larges secteurs de l’économie nationale. Et pour se faire une juste idée de l’impact de ce secteur sur la vie nationale, il suffit de se rappeler les propos les concernant qu’avait tenus un diplomate étranger.

En effet, à la fin de sa mission de trois ans en Haïti, dans son discours d’adieu tenu le 9 juillet 2003, l’ambassadeur américain Dean Curran, parlant de la crise morale que connaît Haïti, a déclaré :

« Je ne comprends pas ce qui est advenu des valeurs morales quand les démunis sont encouragés à investir dans une arnaque de coopératives bidons et ensuite perdent tout ou presque tout leur argent alors que les arnaqueurs corrompus se tirent d’affaires avec la complicité de certains officiels. Je ne comprends pas ce qu’il est advenu des valeurs morales de la société lorsque le trafic de drogue est toléré. Et je ne parle pas seulement du secteur public. Ceci est un sujet qui nous affecte tous. Ou du moins, il le devrait. Considérez les résultats d’une enquête qui montre qu’en 2000, trente pour cent (30 %) des élèves Haïtiens du secondaire avaient accès à la drogue et que beaucoup d’entre eux en avait usés. Ou alors l’étude de la USAID de l’année dernière qui montre que l’usage de la marijuana et de la cocaïne a augmenté de 30 % en un an. Parents d’Haïti ! Réveillez vous ! Le problème de la drogue n’est pas un problème de Lavalas, ou du gouvernement, ou des États-Unis. Il est devenu votre problème et peut vous ravir vos propres enfants. Mais quelle a été la réaction de la communauté des affaires, de la société civile à ce fléau ? Franchement, je ne sais pas. Mais je sais que les trafiquants sont bien connus. Vous êtes probablement au courant d’un sondage récent d’Haiti Scopie dans lequel 39 % des répondants disaient savoir, avant qu’il ne soit arrêté, que Jacques Kétant était un trafiquant de drogue — oui les trafiquants de drogue sont connus. Ils s’approvisionnent dans vos magasins, vous leur vendez des maisons ou leur en construisez de nouvelles, vous prenez leurs dépôts, vous éduquez leurs enfants, vous les élisez à des postes dans les chambres de commerce ».

De toute évidence, aujourd’hui, le diplomate dirait « Vous les élisez à des postes au Parlement et à la présidence ». Si l’on ne fait pas attention, il arrivera le temps où, à tous les niveaux de l’administration, le pays sera dirigé par des barons de la drogue, directement ou par procuration. Cela ne devrait étonner personne, car présentement, la campagne électorale de plus d’une quarantaine de parlementaires élus aux scrutins du 25 octobre 2015 et du 20 novembre 2016 a été financée avec l’argent sale. Et c’était ainsi planifié en haut lieu, car la Loi électorale promulguée sous l’administration Martelly avait été amputée d’un article important, savoir celui qui exige un « certificat de bonne vie et mœurs » pour être candidat. Ainsi, la porte était laissée grande ouverte à tous les malfrats.

Il n’est un secret pour personne que les entreprises illicites ont commencé à avoir pignon sur rue, voire d’entretenir des relations étroites avec la présidence, surtout à partir du gouvernement d’Aristide. Mais c’est avec le chanteur du compas que cette tendance s’est renforcée. Par exemple, Michel Martelly était devenu l’ami et associé d’Evinx Daniel, un trafiquant de drogue bien connu qui était basé à Port-Salut, dans le département du sud, et dont l’ex-président Martelly est accusé d’être responsable de la disparition. Daniel était auparavant l’ami et associé du nordiste Jovenel Moïse avant d’introduire ce dernier à son pote Martelly.

Comme dit le proverbe, qui se ressemble s’assemble. Numéro un de l’Exécutif, Michel Martelly comptait Guy Philippe parmi ses proches collaborateurs. Lancé dans l’orbite du pouvoir par celui-là, le candidat Jovenel Moïse était devenu, à son tour, l’allié naturel de Philippe. Assurément, il doit exister un dénominateur commun entre ces quatre hommes : Martelly, Moïse, Philippe et Daniel.

On se demande qu’aurait fait les Américains si nos institutions judiciaires étaient en mesure de donner la garantie que Guy Philippe pouvait bénéficier d’une justice équitable dans son pays. Ou bien si l’ex-sénateur Fourel Célestin, l’ex-directeur général de la PNH Jean Nesly Lucien, Rudy Thérassan, Oriel Jean, etc. pouvaient recevoir le châtiment qu’ils méritaient en Haïti pour les crimes qui leur étaient reprochés. Le trafic de drogue étant devenu un crime transnational constituant une vraie menace pour la sécurité des États-Unis, les autorités de ce pays ont pris des dispositions pour contenir ce fléau, avant de l’éliminer définitivement. L’accord signé en 1997 entre René Préval (pour Haïti) et Margaret Albright (pour les États- Unis) s’inscrit dans le cadre de leur préoccupation.

Dans la mesure où l’arrestation suivie du transport aux États-Unis de personnes inculpées pour trafic de stupéfiants, comme Guy Philippe, pour être finalement remises au système judiciaire américain pour les suites légales nécessaires, coûte au moins cinquante fois plus chère qu’en Haïti, il y a fort à parier que les Américains auraient plutôt souhaité qu’elles soient poursuivies à Port-au- Prince, si la justice haïtienne était compétente pour mener à bien de tels procès.

En clair, donc, telles sont les leçons que l’État haïtien et la société devraient tirer de l’arrestation du sénateur élu de la Grande Anse. Cela veut dire aussi que Guy Philippe n’est pas nécessairement le dernier haut fonctionnaire élu d’Haïti à être appréhendé sans aucune honte à le faire.

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