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Soulouque

L’après-carnaval en Haiti

REGARD DE  LA  FENÊTRE par Michele Mevs

L’après-carnaval est un moment important puisqu’il devient période de préparation en prélude au prochain événement de l’année 2019. Dès le mercredi des cendres, on en réclame le bilan et le débat est lancé. D’ores et déjà des décisions sont prises par rapport à l’avenir. Même si c’est un moment d’épuisement, tel que l’exprime le fameux dicton local «apre bal tanbou lou » ( « Après le bal, c’est terriblement éreintant » ) tâchons tout de même de récapituler le concept du carnaval, particulièrement quand il s‘est déroulé à la satisfaction de tous.

Des recommandations aux décideurs

Luco Désir de l’émission Matin Débat, le directeur d´opinion radiophonique bien connu en Haïti et sur les réseaux sociaux, recommandait récemment que le Comité carnavalesque soit permanent doté d’un mandat de deux années approximativement. Et que la structure et les normes de ce festival soient pré-déterminées et codifiées.

Ils sont sans doute nombreux ceux qui, aux fil des mois, feront des propositions valables. De fait, il est certain que travailler à améliorer cet événement culturel à vocation touristique ne serait pas la mer à boire puisque tant de pays en ont déjà fait une expérience heureuse. Sachons, avant tout, que « Le carnaval a cette propriété de se réinventer au fil des années », comme le dit l’historien Olivier Rycke- busch.

Le Brésil, par exemple, pourrait nous servir de modèle. D´autant plus qu´il a su faire du carnaval une industrie culturelle.

Pour plus de clarté, il importe de donner des précisons sur ce que constitue une industrie culturelle : « (…)

L’ensemble en constante évolution des activités de production et d’échanges culturels soumises aux règles de la marchandisation, les techniques de production industrielle sont plus ou moins développées, mais où le travail s’organise de plus en plus sur le mode capitaliste d’une double séparation entre le producteur et son produit, entre les tâches de création et d’exécution ». (Source Unesco). Au pays, nous pourrions donc ajuster les principes du Carnaval brésilien à nos circonstances et en définir nos objectifs et limites.

Préciser la nature du carnaval universel

Qu’est-ce qu’est le carnaval ? C´est un « (…) court moment où …triomphe une sorte d’affranchissement provisoire de la vérité dominante et du régime existant —, d’abolition provisoire de tous les rapports hiérarchiques, privilèges, règles et tabous », écrit, en 1970, le critique contemporain Mikhaïl Bakhtine, spécialiste du carnaval. Ce qui explique que c’est un événement universel qui remonte au Moyen-Âge avec ses traditions; néanmoins, il est opportun de comprendre, comme nous l’avons dit plus haut, que cette fête est en constante évolution.

Bien entendu, il en découle qu´il s´agit de festival. Reprenons en la définition. Festival : « Manifestation à caractère festif, organisée à époque fixe et récurrente annuellement, autour d’une activité liée au spectacle, aux arts, aux loisirs, etc., d’une durée de un ou plusieurs jours ». Soulignons que le carnaval est un rassemblement fédérateur par sa nature même, mais également populaire et jubilatoire par son fondement qu’est la fête bacchanale de l’avant-carême.

Le  carnaval comme plate-forme de revendication politique

Aujourd’hui, il y a variation sur le rituel carnavalesque de tout pays où se pratique cette forme de divertissement. Pour notre part, nous avons constaté la présence de la critique politique comme un facteur majeur en de nombreux carnavals organisés dans le monde. Par exemple, nous apprenons qu’un sujet d’immigration, bien que faisant particulièrement partie d’ un thème sensible, devient partie intrinsèque du fameux carnaval à grand succès de Cologne : C´est « le carnaval des sans papiers »… Cette année encore, Donald Trump a été l’objet de dérision au carnaval italien de Via Reggiano, qui a, d’ailleurs, fait de la satire politique et dont les chars allégoriques ont fait une spécialité.

En Haïti, la politique a dominé l’événement en cette année 2018. Ce qui n´est pas hors-norme, bien au contraire. Haïti n’est pas le seul carnaval à mettre en exergue la dénonciation politique. Peut-être que le côté satirique où l´utilisation des œuvres allégoriques n’ont pas frappé assez fort dans la représentation générale de l’édition 2018 du Carnaval de Port-au-Prince.

Le carnaval haïtien s’exprime traditionnellement en trois catégories de parades : Les chars artistiques et allégoriques; Les camions transportant les musiciens et suivis de nombreux fans; Et les défilés de bandes à pieds avec leur grageoires ou bouteilles, tambours, « vaksin», chantant et dansant à leurs rythmes propres.

À partir de ce qui est dit, notons que notre Carnaval de Port-au-Prince, en Haïti, a fait place, en majorité, aux défilés de camions décorés de manière désordonnée. Au sommet s’installent des groupes de musiciens arborant des t-shirts. En bas, sur la chaussée, la population de fanatiques à pieds grouillant, dansant et chantant, mais pas nécessairement toujours déguisés.

Cette année, on a observé que le Carnaval de Port-au-Prince a démontré un déficit de la magnificence que lui procurait autrefois la parade de chars aux couleurs chatoyantes  et jeux de lumières  hallucinantes  de  beauté. Néanmoins, le plus important, c´est  que le festival a beaucoup perdu de sa morgue, de la satire d’antan ou encore d´étonnants mécanismes et de jeux à représentations allégoriques et anthropomorphiques. Peut-être est-ce l’insuffisance de matérialité satirique, sardonique, caricaturale, rigolote, critique, dans ce cadre-là justement qui aurait privé les festivaliers de rigolade, de moquerie, de satisfaction, et même de fascination, quand le sujet aurait été adéquatement traité par les artistes et décorateurs.

Il aura donc fallu, au Carnaval 2018, de se contenter de la dimension auditive à partir des camions : sons et paroles submergeant l’espace publique en vue d’attirer le maximum de participants. Alors, les dénonciations au premier degré ont privé la foule des fêtards de la la bonne humour généralement liée à cette grande réjouissance populaire.

Il ne faut pas exclure le fait que le Trésor public manque de fonds et que le pays endure la frustration des scandales de corruption, notamment par rapport à la dilapidation du fonds PetroCaribe si généreusement octroyé par le Venezuela à Haïti après le séisme de 2010.

Au lieu d´accentuer le rire, la moquerie, la raillerie, la dérision, la caricature, la satire, on aurait plutôt laissé faire dans l´offense à Port-au-Prince.

De sorte que l’utilisation de cette fenêtre carnavalesque divertissante et souvent enchanteresse a donné libre cours à un certain défoulement de violence verbale au premier degré. Or le verbe peut être une arme menaçante pour tous ceux qui la rejette.

Des gens qu’on dirait « bien pensant » ont lancé ainsi leurs cris de désaccord : « riode de transgression oui, mais d’indignité non ! » En même temps, et de son côté, la population réclame justice contre la corruption ambiante. Le chanteur  et sénateur Antonio Cheramy (de son nom d’artiste Don Kato) en est le champion au carnaval, attirant la foule la corde à la main pour amarrer les voleurs.

Le Carnaval : Un festival jouissif

Si l’on doit se plaindre du Carnaval haïtien, cette année, il faut emprunter une boutade du texte d’une chanson de l’École du samba Mangueira diffusée lors du récent Carnaval de Rio de Janeiro : « Le péché, c’est de ne pas s’amuser au Carnaval ». Et, quand le ton n’est pas le bon, c´est tout le spectacle qui en pâtit.

C’est quoi le carnaval typiquement haïtien ?

L’évolution des mœurs, mais également du contexte économique et politico-social d’Haïti sont source d’inspiration au spectacle carnavalesque. Le défoulement en est la principale expression.

Et puis, à continuation, en Haïti, l’inconscient collectif mémorise la culture musicale carnavalesque tel un parfum fortifiant mais en catharsis. En même temps, le carnaval témoigne dans l’inconscient collectif de la résistance contre le défaitisme et l’injustice sociale. Tout cela se révèle très intéressant. Mais on doit souligner aussi que jamais l’usage de mots indignes, de slogans déshumanisants n’a été autant vulgarisés par un secteur politique, autant qu’on en a constaté cette année. Cela n’est en aucun cas un élément du folklore national, voire traditionnel. Nous savons tous que la transgression a toujours été acceptée, mais elle n’a jamais été déshumanisante.

Nous nous en voudrions, toutefois, de ne pas mentionner, à sa juste place, l’intéressant Carnaval de Jacmel célébré par les photographes de toute provenance qui s’est fortement spécialisée au cours des années en représentations allégoriques et artistiques dont les thèmes sont puisés des fonds historiques locaux.

Des aspects haïtiens qui méritent davantage de considération

Soyons en conscients : de nombreux aspects de la tradition carnavalesque sont des éléments d’un patrimoine identitaire à conserver. Néanmoins, d’autres aspects et appropriations valables pourraient être étudiés en vue de l´amélioration de nos carnavals. L´organisation logistique et les formats méritent toute notre attention en vue de les actualiser.

De toute évidence, il y a clairement, dans le monde et en Haïti également, des thèmes ou messages dits « on » et d´autres dits « off »… Dans cet ordre d’idées et dans le monde d’aujourd´hui, il n´est pas per- mis d´avilir ou de vilipender la femme, l´homosexuel, ou le journaliste, de faire du racisme dans la sphère publique. Aucun prétexte ne vaut.

Divertir sur un ton frondeur mais avilissant, de quelque nature que ce soit, est prohibé sur tous les podiums internationaux, même en ces périodes de renversement des hiérarchies qu’est le carnaval.

Bien entendu il y a permissivité en période carnavalesque sur un sujet ou un autre, pourvu qu´il ne soit pas extrémiste ou pernicieux. Car, se moquer méchamment des homosexuels, s’acharner à lancer des quolibets à connotations sexuelles perverses aux femmes, clamer des injures scatologiques et afficher des gestes pornographiques lors de l’événement, c’est se lancer sur un chemin dangereux. Somme toute, il y a des lignes rouges à éviter.

En tout cas, sans vouloir faire dans la censure, disons que tout vocabulaire à connotations extrémistes portant véritablement atteinte à la dignité humaine, mais qui relèvent également du harcèlement d’autrui pour en faire un assassinat de caractère sont tout simplement révulsifs et condamnables.

La publicité et les sponsors

Le carnaval est politique, mais il sert également, surtout étant donné la grande foule qu’il attire, de podium publicitaire à bien des égards, en matière commerciale ou potentiellement destiné à intéresser l’électorat. L´industrie culturelle génératrice d’emplois et tributaire du tourisme résonne fort dans cette énorme participation de carnavaleux.

Une offre de détaxation a été faite par le président Jovenel Moïse aux sponsors ou commanditaires. Mais, cette initiative est-elle vraiment réalisable dans le formel ? Indéniablement, la sponsorisation du secteur des affaires constitue un apport réel à un carnaval joyeux et réussi.

On peut faire le carnaval ensemble dans l’exultation et sans antagonisme, laissant à la saine politique l’occasion de jouer pleinement son rôle. Bien entendu, une polémique comme nous la pratiquons, et qui consiste à susciter une saine compétition entre les groupes musicaux et des exhortations satiriques concernant les autorités ne devrait pas être écartée. Au Brésil, ce sont les écoles de danse et les costumes qui renforcent ce genre de polémique dans la compétition. Au demeurant, c’est un million de dollars que remporte le gagnant du concours qui inspirent la manière d’agir ds participants. Il s’agit d’ne polémique de fans appuyant leurs idoles de la musique depuis les dé- buts du carnaval en Haïti occasionnant de grandes réjouissances populaires.

Mais il faut éviter tout désagrément avec le comité carnavalesque dont on ne peut que louer les efforts, compte tenu des innombrables difficultée qui jalonnent ses interventions en tant qu’organisateur et gestionnaire de l’événement. Reconnaissons dès aujourd’hui les efforts déployés par ses membres qui ne se sont pas laissé gagner par le défaitisme face aux obstacles. Un fait demeure certain : La récupération ponctuelle des « lamayòt » traditionnel (boîtes à surprises) nous a étonnés et ravis !

16 février 2017


la version originale de l’Article (édition du 21 février 2018 de l’hebdomadaire Haïti Observateur) se trouve en P. 14, 15, à : http://haiti-observateur.ca/wp-content/uploads/2018/02/H-O-21-fev.-2018.pdf


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